Par Joël DEMARES, Président AHO le 4 octobre 2020
La ferritine baisse malgré l’arrêt des saignées thérapeutiques
Une ferritine basse a été observée chez un patient homozygote suivi depuis 25 ans, soumis à des saignées régulières tous les 2 mois, soit 165 prélèvements sur cette période. Sa ferritine n’évolue plus depuis un an malgré l’absence de saignée, le coefficient de saturation reste également très bas.
Ci-après l’évolution des contrôles effectués depuis 18 mois.
6 septembre 2018 saignée 300 cc ferritine 22 µg/l – CST 33,34 %
21 décembre 2018 contrôle ferritine 37 µg /l – CST 48,18 %
3 janvier 2019 saignée 300 cc
21 mars 2019 saignée 300 cc
28 mai 2019 saignée 300 cc ferritine 28 µg/l – CST 24,7 %
23 juillet 2019 contrôle ferritine 29 µg/l, je fais l’impasse sur la saignée compte tenu du taux bas
3 octobre 2019 saignée 300 cc, absence de saignée
3 janvier 2020 impasse sur la saignée du fait de la ferritine toujours basse à moins de 30 µg/l
18 mars 2020 annulation de la saignée pour cause COVID-19 et contrôle avec ferritine 33 µg/l
23 juillet nouveau contrôle avant saignée ferritine 26 µg/l et CST 18,73 %
Annulation du rendez-vous pour la saignée prévue le 27 juillet 2020.
Cela fait 10 mois que ce patient n’a pas eu de soustraction sanguine. Il a rendez-vous chez l’hépato-gastro en octobre et doit réaliser au préalable un nouveau contrôle de ferritine.
Il convient de préciser que depuis deux ans ce patient prends régulièrement un médicament pour le reflux gastrique, sans trouble particulier autre qu’une hernie hiatale ancienne. Il n’affiche pas de symptôme de type hépatique ou gastroentérologique particulier.
Que vous inspire ce parcours ? Le médicament oméprazole peut-il être la cause de cette situation ?
Réponse du Comité Scientifique
Il arrive en effet parfois, à la surprise du patient …et de son médecin, de constater qu’il n’est plus besoin de faire de saignées car le taux de ferritine demeure très bas. Il convient alors de distinguer deux situations :
- i) Le suivi de la ferritinémie montre que le taux se stabilise voire remonte légèrement très progressivement. Trois facteurs peuvent être en cause.
Le premier est que le schéma de soustraction sanguine a un peu “dépassé le but”, il convient alors de ne reprendre les saignées, et à un rythme moindre, que lorsque la ferritinémie sera revenue aux alentours de 50, avec, avant chaque nouvelle saignée programmée, un contrôle de son taux de manière à en confirmer l’indication.
Le deuxième facteur peut être une intervention chirurgicale récente : la circonstance typique est une intervention de type prothèse de hanche à la suite de laquelle, pendant de nombreux mois, le besoin de saignées peut disparaître (peut-être en raison d’une inflammation qui augmente le taux d’hepcidine et donc, d’une certaine manière, corrige la baisse d’hepcidine qui, dans l’hémochromatose, est responsable de l’hyperabsorption du fer).
Le troisième facteur peut être alimentaire avec par exemple une moindre consommation de viande comme il est parfois observé chez le sujet qui prend de l’âge.
- ii) La ferritinémie continue à baisser inexorablement.
Deux mécanismes doivent alors être recherchés :
En premier lieu un mini-saignement digestif qui peut être d’origine bénigne (ulcère gastrique, gastrite) ou maligne (cancer de l’estomac, cancer du côlon). Il est donc essentiel de regarder les selles pour savoir si elles sont noires (comme du goudron) correspondant à du sang vieilli (c’est ce qu’on appelle un méléna) et, que les selles soient noires ou non, de consulter un gastroentérologue de manière à effectuer un contrôle endoscopique de tout le tube digestif.
Le deuxième mécanisme est la prise d’un médicament qu’on appelle IPP (pour inhibiteur de la pompe à protons). Ce type de médicament (comme l’oméprazole ou le lansoprazole) est prescrit pour diminuer l’acidité gastrique, ce qui est bénéfique vis-à-vis des symptômes comme les brûlures d’estomac ou les reflux acides mais est aussi responsable d’une certaine diminution de l’absorption digestive du fer. En soi, cette diminution serait plutôt bénéfique dans l’hémochromatose où précisément il y a une hyperabsorption de fer mais il est possible (mais non formellement démontré) que sa prise au long cours, en même temps que les saignées, puisse finalement avoir un effet qui diminue le stock de fer de manière excessive. Il est recommandé alors d’arrêter l’IPP et de voir si cette interruption est bien suivie d’une stabilisation voire d’une remontée de la ferritinémie.
Pr. Pierre Brissot, Professeur émérite – Membre de l’Académie nationale de médecine – Conseil scientifique d’AHO
Laisser un commentaire